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Sleep #2 de Radu Jude : where’s Warhol ?

A partir d’une caméra qui diffuse en continu depuis 2013 la sépulture de l’artiste américain, Radu Jude warholise Warhol en créant Sleep #2, son « premier film américain » (dit-il), une sorte de suite au film Sleep de Warhol réalisé en 1963 et qui consiste en un plan fixe de 5h20 sur son amant en train de dormir. La différence notable avec son modèle est que Jude ne crée pas à proprement parler un dispositif, comme Warhol décidant de filmer le sommet de l’Empire State Building, mais utilise un dispositif déjà existant pour en extraire un montage d’un peu plus d’une heure. De ce point de vue-là, et grâce à la profusion d’images techniquement permise de nos jours, il se rapproche un peu plus d’un idéal de réel objectif sur lequel l’artiste n’a qu’à se greffer sans l’avoir (trop) fabriqué. C’est ce qu’offre ce film avant tout : une situation d’observation d’une manifestation de ce que pourrait être, si jamais il existe, le réel objectif. Dans cette situation, l’artiste n’est qu’un intermédiaire repéreur entre ce réel et nous. Si personnalité de l’artiste il y a, elle est dans le critère qui rend à ses yeux ce réel-là digne d’intérêt. A ce titre, on reconnait évidemment l’univers de Radu Jude : s’il a fait ce film, c’est parce ces images offrent un burlesque du réel le plus ordinaire. Regardé de loin dans des images et un son de basse qualité, l’homme est une créature qui s’accroupit pour être pris en photo devant la tombe d’une célébrité, y laisse des boites de soupe en hommage et – moment le plus brechtien du film – montre ses fesses à la caméra à l’occasion. Quelques biches, ignorant sans doute tout de l’illustre peintre américain, viennent quand même brouter à côté de la tombe la plus fleurie et la plus fournie en herbe du cimetière.

Le film pose des questions d’art décisives mais, bien qu’il soit question de Warhol, ne discourt jamais sur l’art ou sur Warhol, comme on pourrait lui faire faire contre son gré. Même le principe qui organise le montage est, à rebours d’Eisenstein, complètement inexpressif : il est – en cela bêtement aligné sur le réel – chronologique. On y voit au début des gens se promener en short ou faire un pique-nique puis, une fois l’hiver arrivé, plus rien à part la neige. Tout ça pour ça : ce réel objectif ne témoigne de rien d’autre que de la succession des saisons, du passage du temps. La belle affaire.

1 commentaire pour “Sleep #2 de Radu Jude : where’s Warhol ?”

  1. Retour de ping : Quelques bribes de bribes de réel – La couleur pourpre

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