Vous me direz certes que personne ne m’y oblige, mais à choisir, je dirais que cet album est bien plus dans la continuité du solo de Cameron Winter (Heavy Metal) que du précédent opus de Geese. Ce dernier a beau être un des plus grands chefs d’œuvres du rock contemporain, on s’aperçoit après avoir écouté Getting Killed que la voix de Winter y était encore un peu empêchée, contrainte. Elle était encore prise dans des rythmiques et mélodies qui lui préexistaient : le blues rock, country rock, socles des expérimentations musicales de 3D Country. L’étrangeté inédite que le chanteur insufflait à ces mélodies, par l’intensité de ses modulations vocales, constituait l’âme de ce sublime album.
Mais en 2024 « Heavy Metal » est passé par là, album solo de chansons quasi improvisé ou un minimalisme instrumental laissait libre cours à des performances vocales encore plus désinhibées. C’est en ce sens où ce nouvel album prend sa suite : la voix de Winter y est de nouveau centrale. Certains morceaux auraient presque pu avoir leur place dans Heavy Metal, comme Cobra ou Husbands, sublimes ballades qui ne distinguent de celles de Winter que par la présence d’une rythmique.
“You could say that our love was only half real, but that’s only half true”
Tout ça est de toute évidence contredit par l’ouverture de l’album, un éclair assez fou de noise rock qui est loin d’être le seul moment d’expérimentation sonore de l’album. Le morceau titre, après avoir donné l’impression au début d’aller vers du très bruyant, s’égare ensuite dans des arrangements éthérées qui rappellent presque ceux de black midi. Il arrive même que la voix du chanteur passe longuement en arrière-plan, tel un instrument comme les autres, lors d’excellents moments instrumentaux souvent à la fin, de Islands of Men ou Bow Down, qui est soit dit en passant ce qui ressemble plus à un morceau de rock habituel.
“If you want me to pay my taxes, you’re gonna have to nail me down ”
On ne m’ôtera toutefois pas de l’idée, et ça tombe bien, me direz-vous, car personne n’essaie de m’en ôter, que le cœur de l’album se situe dans le chant inouï de Winter, qui ordonne tout le reste. L’intensité de ses inflexions donne l’impression de tâtonner, de ne pas trouver l’intonation juste, digne de l’émotion inconnue qu’elle essaie de débloquer. Cette quête prend à chaque fois des airs d’expérience mystique, où le chant semble enfin se trouver en fin de morceau pour redoubler d’intensité et d’émotion, après une lente et répétitive progression, parfois autour d’une seule ou de quelques phrases vraiment dérangées.
« You can’t keep running away from what is real … and what is fake”
« Taxes » illustre parfaitement cette dimension quasi religieuse, non seulement dans sa structure et son songwriting, mais par sa référence biblique explicite. La question doit donc être posée : Cameron Winter est-il venu sur Terre pour nous montrer la voie ? A-t-il déjà payé pour tous nos péchés ? J’étais d’abord tenté d’entendre dans sa voix celles de certains illustres prédécesseurs (Thom Yorke, Jeffrey Lee Pierce, Jeff Mangum …), mais j’ai fini par me rendre à une autre possibilité, celle d’une puissance supérieure qui s’y fait entendre, pour nous rappeler à des émotions possibles, des visions étranges ; porteuse de prophétie qui n’annonce ni bonnes ni mauvaises nouvelles.
« God has some many friends on earth, he probably forgot he met you before”
