On en aura vu ces dernières années des documentaires de cette facture, c’est-à-dire formatés par la fiction, dont l’exemple le plus marquant était le film de Laura Poitras (Toute la beauté et le sange versé). En reconduisant le découpage narratif standard du monde, qui comprend forcément un arc narratif qui va d’un point A à un point B, ces films en reconduisent naturellement l’idéologie latente : le parcours thérapeutique. Le dispositif mis en place par Asmae El Moudir, en feignant la reconstitution à l’aide de miniatures, vise à fabriquer de non pas l’image mais la parole manquante, et donc la guérison. Les révoltes de 1981 de Casablanca sont ainsi vues principalement sous le prisme du trauma, individuel et collectif, à confesser. Ce qui ne laisse plus beaucoup de place à un quelconque prisme politique : des causes et conséquences, des forces en présence à l’époque etc… amputant ainsi de la compréhension d’un évènement son élément le plus décisif. Ce prisme exclusivement psychologique produit cependant ses très bons moments, à la fois édifiants et poignants, dans la mémoire qu’il transmet, soigneusement effacée par le régime. Il réussit même parfois à être d’une grande subtilité dans le portrait qu’il dresse de la grand-mère et la singularité du nœud psychologique qu’elle a formé depuis les évènements, qui se traduit dans son rapport aux autres personnages et à la « figure » du roi. Malheureusement, son parcours est à l’image du dispositif : programmatique. Donc peu fécond en termes de réel produit, en témoigne le jeu d’acteurs qui sort rarement d’un certain standard de fiction voire de théâtre. A l’inverse d’un film comme Les filles d’Olfa, qui remettait constamment en cause son dispositif au gré de ce qui apparaissait au fur et à mesure du tournage, et dont résultait un grand nombre de scènes mémorables. A peine quelques jours après le visionnage, je n’en retiens quasiment aucune de La mère de tous les mensonges.
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