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Maria de Pablo Larrain : La mort dans l’air

    Si jamais on est amené à voir le film sans rien en connaître, et qu’on a eu les yeux bandés jusqu’au moment d’entrer la salle, et qu’on a jamais été mis au courant de ce projet de film, et qu’aucun voisin de siège n’a gâché la surprise, il ne serait quand même pas difficile de deviner qu’on est chez Pablo Larrain : de nouveau, un portrait de femme célèbre où la mort rôde déjà avant qu’elle n’advienne pour de bon. L’exploration du morbide déjà l’œuvre dans Santiago post mortem trouve dans cette formule une sorte de plénitude : pas seulement dans le cadre temporel, mais dans l’univers visuel faste qu’elle offre, où la reconstitution vise moins le chic qu’une beauté macabre que semble lui trouver le cinéaste. C’est à ce titre qu’on peut réellement apprécier ce que fait Larrain des intérieurs somptueux et du Paris bourgeois de Maria. Ils participent de cette atmosphère spectrale et irréelle dans laquelle baigne Maria Callas durant ses derniers jours.

    Il y a quelque chose de déjà funèbre dans le rapport au monde qu’entretient une diva, dont les relations sociales se réduisent à l’adulation ou au rejet. L’irréalité de sa vie apparaît d’autant plus qu’elle ne chante plus et qu’elle ne vit qu’avec ses deux domestiques et les vestiges de son passé. Non sans une certaine cruauté : dans une scène où elle joue aux cartes avec ses deux domestiques, elle exprime son souhait qu’ils restent ensemble après son départ. Le court silence gêné qui s’en suit suggère que leur dévouement sincère, qu’on a pu voir à l’œuvre tout au long du film, fait partie de la comédie quasi-féodale qu’exige leur métier, qu’ils iront vraisemblablement facturer ailleurs une fois contraints. De toute évidence pas dupe de cette réalité, notamment quand il s’agit de donner des ordres, elle ne fait que la mettre en harmonie avec le reste de sa demeure en l’embellissant d’illusion, par exemple en invitant à son homme à tout faire à désobéir de temps en temps.

    L’ensemble du film procède ainsi par touches successives qui sont autant de pistes qui renvoient ou pas les unes aux autres. Ainsi l’irréalité du film est le nom de l’absence de réalité définitive sur les choses, à fortiori sur une vie. Elle se traduit formellement par ce récit non-narratif qui rôde autour l’opacité des faits d’une vie au lieu de les organiser en un ordre logique et signifiant, et par un usage récurrent d’artifices (mouvements de caméra indiscrets, musique outrée …) comme pour dissiper toute velléité de réalisme. Le choix par Larrain de personnages célèbres – à fort potentiel d’opacité – permet justement de se dispenser de narrer pour pouvoir sillonner librement des éléments biographiques déjà connus.

    Cette façon de suggérer sans décréter est plus apte à nous faire réellement considérer ce qui fait la vie de quelqu’un, au lieu du prémâché qui a cours généralement dans le biopic (voir le récent film sur Bob Dylan). Ainsi nous est seulement suggérée l’absence de père comme nœud œdipien au travail dans ses relations avec les hommes (« with him i could be a girl again » dira-t-elle à propos de son riche amant grec) ; ou les origines sordides et presque traumatiques de la découverte de sa vocation. On imagine aussi à la lumière de la scène avec sa sœur qu’à la différence de celle-ci, son rapport au monde a certainement été percuté par l’accès à la célébrité. C’est là où réside l’intérêt du personnage de journaliste (technique du personnage-relais qu’on a vu médiocrement utilisée dans The Bikeriders) que de faire advenir des suggestions de la bouche de Maria, dans une logique psychanalytique où ce qu’elle dit sur elle-même fait aussi partie de la complexe vérité sur sa personne.

    Le film donne l’impression d’une partition admirablement réglée et exécutée. Aucune chance qu’il ne fasse vampiriser par un numéro d’actrice, dont le désir d’imitation s’ajuste parfaitement à une Maria Callas qui tente, sans sa voix, de redevenir ce qu’elle était ; surtout vu la relative sobriété d’Angelina Jolie dans la plupart des scènes. Le réel risque qui guette le film est justement l’imperméabilité de ce dispositif maitrisé, cohérent, qui ne se laisse pas hybrider par les audaces formelles qu’il y avait dans Jackie ou même Spencer, qui se permettaient par exemple d’investir le registre inattendu de l’horrifique, là où Maria se cantonne parfois à une platitude mélodramatique (scène avec le critique musical où celle avec Kennedy, les deux au bord du ridicule). Il arrive qu’on voie tout ça défiler devant nous avec une lointaine admiration, et qu’on en vienne presque à penser que la mort peut à l’occasion être terne.

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