La lenteur narrative de L’agent secret permet d’amonceler, dans les interstices de sa mince intrigue policière, une suite de détours narratifs, de détails, de dialogues périphériques qui finissent par constituer, souvent brillamment, une ambiance, une atmosphère, de ce Brésil des années 70 sous dictature militaire, où le danger est d’autant plus angoissant qu’il reste relativement nébuleux. On finit certes par savoir plus ou moins ce qui guette Marcelo, le personnage principal, sans toutefois toucher concrètement du doigt la source du mal qui plane au-dessus de cette communauté d’« agents secrets ». C’est juste si on ressent une opposition entre le dehors, « semé d’embuches » et le dedans paisible et bienveillant des victimes, résistants, esprits libres. Dans la première catégorie, riches industriels réactionnaires, militaires tueurs à gages et sous-prolétaires patibulaires. Dans la seconde, professeurs d’université, femmes indépendantes et chats siamois. Sans surprise, cette opposition recoupe en grande partie celle entre les beaux et les moches.
Cette esthétique du safe space apparaissait déjà dans Aquarius, où Sonia Braga, belle, intelligente et raffinée faisait face à des promoteurs immobiliers sans foi ni loi. Dans une scène un brin théâtrale, elle leur disait leurs quatre vérités dans la salle de réunion où ils l’avaient conviée. Une scène similaire est jouée ici : un flashback nous montre la défunte épouse de Marcelo, en gros plan contre-plongée, remettre à sa place l’oligarque qui aura passé le dîner à donner toutes les preuves possibles de son appartenance au pan le plus vil de l’humanité. Il y a un côté télénovela pour petite bourgeoisie intellectuelle chez Kleber Mendonça Filho, lui renvoyant sempiternellement l’image flatteuse de belles personnes cernés de rustres sanguinaires.
Si cet aspect est plus visible et plus agaçant que dans Aquarius, c’est indéniablement à cause de l’acteur principal Wagner Moura. Véritable mascotte de l’humanité belle des gens beaux (et coproducteur du film), il donne au moindre geste, au moindre mouvement de sourcil, de hochement de tête, la majesté et la dignité qui sied à cette fonction. Durant les longues séquences d’exposition, où de nombreux plans le montrent marchant ou montant des escaliers, il faut voir sa nonchalance calculée, son olympienne économie de mots, son sourire classe pour valider tous les traits d’humour autour de lui. Nulle incohérence pourtant avec le personnage de brillant prof d’université, directeur de département, soucieux de justice sociale mais pas communiste. Les personnages devrais-je dire car il y joue aussi son propre fils 30 ans après, devenu médecin, sur le point de faire la paix avec son passé grâce aux révélations d’une jeune, belle et brillante étudiante.
Cet imaginaire essentialiste a sans doute été autrefois désactivé par le dispositif formel radical auquel Filho s’était remis dans le merveilleux « Bruits de Recife ». Peut-être fait-il retour dans la forme plus convenue voulue par une coproduction internationale (Arte, Netflix etc…), avec scénario plus clair, acteur star … et public cible qu’il s’agira de caresser dans le sens du poil.