Cette saison 2 constitue l’occasion idéale pour mettre à jour ce que l’œuvre de Nathan Fielder nous permet de penser (comme ici ou là). Surtout qu’elle semble répondre à une logique décidément fatale dans son art comique : la surenchère continue. Rappelons qu’à l’origine, le principe était de permettre à des participants de préparer, par un procédé de répétition prodigieusement maniaque, des échéances angoissantes. C’est justement cette angoisse infinie qui était derrière l’inépuisable et absurde volonté de neutraliser l’imprévu, et donc de l’hilarante étrangeté de chaque nouvelle tentative. Désormais, l’émission se donne pour défi de s’attaquer à ni plus ni moins que l’imprévu ultime, l’angoisse insurmontable : la peur du crash aérien. Ainsi, après avoir découvert « sur son temps libre » une récurrence d’ordre psycho-sociale dans les causes des accidents d’avion, Nathan Fielder met son dispositif au service d’un problème d’intérêt général dont la résolution relève, estime-t-il, de son champ de compétence.
Cette récurrence, sérieusement validée par un expert consulté par Fielder, est la suivante : un manque de communication entre le pilote et le copilote, et plus précisément une incapacité de ce dernier à faire preuve d’une désagréable franchise envers son supérieur lorsqu’une situation critique l’exige. La résolution de ce problème sera déclinée tout au long de la saison en expériences sociales et reconstitutions loufoques, fécondes en images d’une irrésistible bizarrerie. On verra ainsi Fielder, afin de tester son aptitude à dire non, simuler une entrevue avec Paramount Germany qui a censuré un de ses anciens sketchs traitant du négationnisme, dans un château avec gardes où tous les acteurs sont habillés en nazis pour l’occasion. Ou encore, pour se mettre dans la peau du pilote Sully, connu pour avoir sauvé un avion lors d’un crash, reconstituer toute sa vie en accéléré à partir d’une étude excessivement minutieuse de son autobiographie. Ces images sont une traduction visuelle d’une sorte de burlesque de la pensée. Le mouvement burlesque de l’angoisse qui, en poursuivant l’inatteignable objectif de conjurer le réel ou d’en percer totalement le secret, pousse à une crescendo hilarant des moyens déployés. Cette surenchère est d’une grande efficacité comique dans la mesure où elle permet cette fraction de seconde nécessaire de surprise ou de sidération pour déclencher le rire.
Mais la profonde drôlerie de ces reconstitutions et simulations, c’est que le réel ne s’y définit pas comme ce qui a lieu, mais s’y réduit à une série de caractéristiques qu’il s’agira d’imiter : des lieux, des répliques précises, des costumes etc. C’est à une conception rigide du réel qu’est condamné, dans sa quête impossible, l’angoissé Nathan Fielder. Ce qu’il finit par mettre en images, c’est un reflet étroit, mécanisé et du réel, déformé par la raideur loufoque de son esprit. C’est précisément ce qu’on voit lorsqu’on l’aperçoit déguisé en Sully enfant, en couche-culotte, entouré d’acteurs sur des échasses, pour récréer la différence de taille.
Se tenant toujours à la limite entre l’aberrant de la surenchère dans le gigantisme et le sérieux de l’expérience sociale, l’émission finit quand même par produire du sens, grâce justement à la rigidité au travail de Fielder. Inapte à la comédie sociale, il est obligé de déployer un effort d’ingéniosité pour tirer des conclusions sur ses rouages. Ainsi, pour susciter un comportement, conclut-il de l’une de ses expériences, il suffit qu’il fasse partie d’un rôle scénarisé à performer. Car oui, « tout peut être performé », certains ont juste une « aptitude à performer la sincérité » supérieure à d’autres. Une des solutions qu’il tentera en vain de proposer à une sous-commission parlementaire est d’écrire un scénario où le copilote jouera un personnage cash et sans filtre tandis que le pilote jouera un personnage (« Mr Feedback ») qui adore les remarques sur son travail. Application burlesquement rigide d’une observation toutefois géniale : l’humain comme machine à régurgiter et reproduire des rôles sociaux écrits pour lui, auxquels l’adhésion met à l’abri de tout désarroi existentiel. Si ce savoir-faire social est instinctif pour la plupart, comme pour les célèbres humoristes dont il analyse le passage devant des commissions parlementaires, pour d’autres, cela demande rien de moins que l’aide d’une production HBO au budget illimité.
De toute évidence, ces expériences sociales ont toujours été en partie des expériences sur soi. Depuis Nathan for You qui, en offrant la médiation de stratégies commerciales délirantes, permettait une infinité de déclinaisons comiques à l’inadaptation de Fielder. Dans The Rehearsal, empêtré dans son dispositif, il se voit contraint d’aller plus loin, et de manière plus explicite, dans le dévoilement de soi. On y perd en puissance comique mais on y gagne des moments étrangement émouvants : en tentant de construire une image sérieuse de lui-même afin d’être crédible à Washington, il découvre des témoignages de personnes autistes qui se sont identifiés à la façon de raisonner de la « Fielder method ». Désarmé par cette réalité – dont on aurait pu se douter – qui réapparait derrière le masque de la performance comique permanente, il finit par en faire le climax de la saison. Cette séquence, dont il ne faut rien dévoiler sinon qu’elle est plus haletante qu’un Top Gun, se conclut sur un parti pris existentiel tout sauf anodin : refusant une éventuelle pathologisation de son comportement, il en cultive plutôt la grande santé en se laissant la possibilité d’en rire.